Transmission

Je me suis toujours intéressé non pas tant à l’enseignement et à la transmission pour eux-mêmes, qu’au partage de l’apprentissage théâtral à travers l’aventure de la création. Le théâtre ne s’apprend réellement, concrètement, organiquement qu’au contact et aux frottements permanents de tous les problèmes posés par la création d’un spectacle. Comment entrer sur un plateau ? Par où entrer ? Pourquoi entrer ? Pour quoi faire ? Pourquoi un personnage entre ? Pourquoi dit-il cette phrase ? Où entre-t-il ? Où regarde-t-il ? Que regarde-t-il ? A partir du moment où un espace se théâtralise, toutes les questions du théâtre arrivent par bennes entières ! Je ne dis pas que le théâtre ne s’enseigne pas. Bien sûr qu’il s’enseigne. Bien sûr qu’il y a l’apprentissage de techniques particulières et spécifiques, tout le temps, toute la vie. Mais embarquer des enfants, des jeunes, des comédiens amateurs dans un processus de travail, c’est-à-dire dans la dynamique du jeu, d’une musique, d’un travail choral, d’un chant collectif, d’une marche dans l’espace, de mots qui arrivent, d’une peinture, d’une poésie, d’une transformation par un costume, ce n’est pas la même posture qu’une succession d’exercices pour « apprendre ».

Il m’arrive très souvent dans la création d’un spectacle, d’associer une équipe de comédiens amateurs. Très en amont. Très longtemps. Plus longtemps d’ailleurs que le temps de création avec l’équipe professionnelle. Sous la forme d’ateliers. Parfois des groupes uniquement composés d’adultes, parfois et c’est extraordinaire, des groupes intergénérationnels (enfants, ados, adultes, seniors…). Ça prend du temps d’apprendre un langage commun. Une grammaire commune de l’espace et des corps. Pour arriver à être dans la même histoire. Ensemble.

Et puis il y a tout le travail en lien avec l’institution scolaire sous des appellations les plus diverses : « École du jeune spectateur », « Parcours de spectateurs », « Classe PAC ou APAC (à projets artistiques et culturels), « Classes CHAM » (à horaires aménagés) où le théâtre essaie de faire entendre sa voix et de défricher une voie. C’est important. Ce sont parfois les seuls dispositifs qui permettent à la jeunesse de rencontrer une autre manière d’appréhender le monde. Car il s’agit bien de cela. Respirer un autre air. Sortir du scolaire. De la voie ferrée. Voir le monde par la réalité du vide. Faire un premier pas hors cadre. Ne rien faire. Tenter de se tenir droit. Regarder. Écouter. Respirer. J’aime ces temps de travail, ces éclats de rire, cette bonne humeur. J’aime quant à la fin de la semaine, des élèves me disent : « Hé m’sieur, on pensait pas que le théâtre c’était ça. Qu’on allait jouer comme ça ensemble. C’était bon ».

Et tous ces chantiers passionnants, ces rencontres avec des agricultrices qui veulent parler de leur métier par le théâtre, avec des jeunes arrivés en filière BTS technico commerciale un peu par hasard, un peu par défaut, d’autres arrachés à leurs pays qui essaient de se reconstruire, des seniors qui ne supportent pas l’idée d’un « club » qui leur est dédié, des personnes handicapées en fauteuils. Pour toutes ces aventures qui constituent des rencontres humaines extrêmement riches, l’art théâtral et la boite à outils du métier d’acteur permettent d’ouvrir des horizons nouveaux, de retrouver la nécessité et le plaisir du jeu. Collectivement. De défricher l’imaginaire, de muscler la pensée.

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Un film de Jeanne Dosse, 2009

C’est l’histoire d’une rencontre, l’histoire d’un coup de foudre entre des enfants d’une classe de 6ème du Collège St-Jean-Baptiste à Quimper et un spectacle, Les Ephémères, créé par le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie.