(…) « Cher camarade, mes quatre pièces se trouvent interdites. L’édition de mes nouvelles a été interdite de même qu’ont été interdits mes essais (…) Je n’ai pas la force de vivre dans un pays où je ne peux ni représenter, ni publier mes œuvres. Je m’adresse à vous, pour vous demander qu’on me rende ma liberté d’écrivain. Ou bien qu’on m’expulse de l’Union soviétique avec ma femme » (…)

Nous sommes à Moscou en 1929.
L’homme qui rédige cette lettre à l’attention de Joseph Staline s’appelle Mikhaïl Boulgakov. Il a 38 ans, né à Kiev et habite Moscou depuis 1921. Après avoir cessé son activité de médecin, il s’est lancé dans la littérature avec succès. Un succès qui va s’arrêter très vite. Interdit de publication de ses pièces et de ses romans auxquels vient s’ajouter le retrait des représentations au Théâtre d’art de Moscou, Boulgakov est un homme épuisé. Il vit un véritable cauchemar quotidien : continuer à écrire sachant que tous ses écrits ne verront jamais une publication.

Il se trouve dans un état d’extrême délabrement physique et moral. Il souffre d’angoisses, de phobies. Censuré, interdit, décrié, insulté, le 02 février 1929 il se décide à adresser une longue lettre à Staline en personne. D’autres suivront. Il en écrira quantité de 1929 jusqu’en 1938, deux ans avant sa mort en 1940. Les lettres qu’il adresse régulièrement à Staline et aux membres du gouvernement avec une lucidité et une audace implacable sur sa situation causée par le régime, sont des tentatives désespérées de convaincre Staline de les laisser, lui et sa femme Elena Boulgakova, quitter l’URSS. Mais elles ne reçoivent aucune réponse. Toutes ses demandes de visa seront refusées jusqu’à ce jour du 18 avril 1930 où le téléphone sonne. C’est Staline en personne au téléphone autant dire un quasi-miracle pour Boulgakov. La conversation rapportée par l’auteur Juan Mayorga dans la pièce est exacte historiquement. A cette différence près que Mayorga invente un élément théâtral pour servir son propos, il imagine que la conversation sera coupée. En réalité, pris de court, Boulgakov décline la proposition voilée de Staline de quitter le pays contre une promesse d’un petit emploi au théâtre d’art de Moscou. Staline raccroche émettant le souhait de fixer un prochain rendez-vous pour échanger avec lui. Mais il ne se passera rien. Ni nouveau coup de téléphone, ni réponse aux nouvelles lettres que Boulgakov ne cessera de lui adresser. L’attente sera vaine jusqu’à sa mort. Désormais prisonnier, il se consacrera à des tâches de metteur en scène ou de dramaturge écrivant des pièces qui ne seront jamais jouées mais dont on lui fera toujours espérer qu’elles le seront. C’est le drame de Boulgakov. Staline se débarrassera de cet artiste gênant sans l’arrêter, simplement en le bâillonnant.

La pièce de Juan Mayorga n’est pas une pièce historique sur Boulgakov. Il s’agit d’une création imaginaire, une sorte de digression tragi-comique à partir d’un fait réel, ce « fameux » coup de téléphone de Staline à Boulgakov. L’impact de cette conversation avortée va devenir une obsession schizophrénique pour Boulgakov à un point tel qu’elle va lui provoquer des visions. Et en particulier, l’apparition de Staline en personne sortant tantôt d’une armoire ou d’un buffet de son appartement (clin d’œil au personnage de Woland-le diable, dans son roman testamentaire « Le maître et Marguerite »). Au fur et à mesure de ses différentes apparitions, Staline va prendre ses quartiers chez les Boulgakov ou plus exactement dans la tête de Boulgakov puisque sa femme Elena ne le verra jamais dans la pièce. Elle fera tout pour l’aider à surmonter l’enfermement schizophrénique auquel elle assiste impuissante, se proposant d’ailleurs au début de la pièce, d’incarner elle-même Staline réagissant aux lettres de son mari. Elle n’aura de cesse de lui apporter son amour et un soutien inconditionnel dans sa création et se démener avec acharnement pour tenter de trouver des solutions administratives leur permettant de quitter le pays.

La proposition de Mayorga est un condensé de l’étau implacable dans lequel Staline aura maintenu Boulgakov toute sa vie. Bourreau et victime. Boulgakov tente de se débattre entre les murs d’un appartement devenu poreux aux intrusions extérieures. L’espace privé n’existant pas. Des oreilles peuvent se cacher partout, dans les armoires, derrière les rideaux. Le salut n’est même plus dans la fuite, ailleurs à l’étranger. L’univers entier est sous contrôle. L’ombre de Staline est partout. Boulgakov mourra à 49 ans, épuisé par un travail acharné, sans cesse rejeté, épuisé par les faux espoirs d’un départ à l’étranger, assailli par les crises d’angoisse, entouré d’espions et de délateurs. « On a fait de moi un mort vivant » écrit-il dans une énième lettre à Staline. Sa vie durant, il vivra une sorte d’exil intérieur, son travail de création littéraire devenant son unique refuge.

Lettres d'amour à Staline

Любовные письма к Сталину

de Juan Mayorga

Mise en scène Yann Denécé
Projet de création 2025-2026
Elena Boulgakova et Mikhaïl Boulgakov en 1936

Note d’intention
Cette pièce de Juan Mayorga m’interpelle particulièrement parce qu’elle met en scène un concentré de vie de ce très grand auteur russe qu’était Boulgakov. Puisant dans les nombreuses lettres que Boulgakov écrit au pouvoir soviétique, Mayorga déplie son drame, son combat, l’anéantissement physique et psychologique qu’auront été ses années d’écriture, contrôlées et censurées quotidiennement par le pouvoir. A travers le cas spécifique de Boulgakov sous Staline, je ne peux évidemment pas m’empêcher d’établir un parallèle avec tous les artistes, journalistes, étudiants, intellectuels, militants, opposants politiques russes contemporains soumis au pouvoir autocratique et dictatorial de Vladimir Poutine. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, ils ont fui les répressions d’un régime qu’ils ne supportent plus. Ukrainiens et russes exilés, tous rêvent d’une Russie sans Poutine. Dans un petit ouvrage qu’il a consacré au conflit avec l’Ukraine au début de l’invasion, le traducteur André Markowicz écrivait ceci : « Tel a toujours été le destin des gens en Russie, ils sont brisés, massacrés ou ils deviennent fous. Pas seulement du temps de Pouchkine mais de tout temps ».

Le cas Boulgakov des années 30 sous le régime stalinien incarne non seulement l’exemple de la dérive potentielle de tout pouvoir politique autoritaire à l’encontre d’une pensée et d’une réflexion qui exprime sa contradiction mais il est également l’exemple du conflit intérieur auquel est soumis tout artiste, tout journaliste, tout étudiant, tout citoyen qui veut continuer à vivre dans son propre pays, à s’exprimer dans sa propre langue et qui se trouve malgré lui, confronté à un véritable cas de conscience face à l’arbitraire du pouvoir : rester sans pouvoir s’exprimer, s’exprimer au risque de la prison et de la mort, fuir sans espoir de retour et rejoindre la cohorte des exilés et leur combat de l’extérieur.
Yann Denécé

À la vôtre,
ou l'apéro du 14 juillet

Cabaret apéritif en extérieur

Conception et mise en scène Yann Denécé
Écriture textes Marie Vidal
Avec Myriam Azencot, Sylvain Delabrosse, Éric Nondsen, Isabelle Turschwell, Luciana Velocci, Maryseult Wieczorek
Pianiste Sébastien Rodallec
Avec la participation des musiciens de la banda’Suzanne
Régie David Valy
Avec le soutien de la municipalité de Sainte Suzanne, de l’association Médiéville et de la FDVA

« Quand mes amis me manquent, je fais comme pour les échalotes, je les fais revenir avec du vin blanc »

S’il est un moment de la journée où les Français aiment à se retrouver, c’est bien celui de l’apéritif. Le fameux apéro. Cet avant repas où l’on aime prendre un verre entre copains, amis ou famille tantôt à la terrasse d’un bar, tantôt dans son jardin, en bord de mer, etc… Été ou hiver, l’apéro fait non seulement partie d’une tradition vieille de plusieurs siècles, il est devenu un véritable rituel. Rituel social. C’est le moment où l’on se retrouve ensemble pour couper avec la journée, avec le travail, les problèmes, la fatigue. « L’apéritif, c’est la prière du soir des Français » écrivait Paul Morand. On l’a d’ailleurs bien vu durant le confinement avec des apéros virtuels improvisés en ligne presque chaque soir. Apéros qui ont maintenu des contacts entre nous. On n’a jamais autant trinqué à la santé des malades, des soignants, de la famille éloignée. Avec cette expression « À la vôtre » lancé tous les soirs, on a porté un toast à la vie.

Dans le cadre de l’implantation du Théâtre du Miroir sur le territoire mayennais, avec ce projet d’apéro théâtralisé, la compagnie souhaite d’abord et avant tout rassembler. Rassembler le temps d’une soirée symbolique (14 juillet), habitants, commerçants, restaurateurs, touristes de passage à Sainte Suzanne, magnifique petite cité baptisée la « perle du Maine ». Dans un dispositif scénique de jeu évoquant le cabaret, installer le public à de petites tables en extérieur autour d’un piano à queue. Réunir comédiens, chanteuse lyrique, circassien, musiciens et tricoter sous la plume de l’autrice Marie Vidal des histoires de personnages traversés par la vie qui déborde. Convoquer le théâtre, la musique, le chant, la poésie, le rire, le patrimoine architectural et historique, porter un toast à la vie, terminer par un baluche et lancer au ciel avec Baudelaire :

« Enivrez-vous ! Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie, d'amour ou de vertu, à votre guise. »